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Une étude chiffre le coût global des guerres dans la région depuis vingt ans
L’idée paraît simple, encore fallait-il la réaliser: calculer les coûts de la guerre pour prendre conscience des dividendes de la paix et ainsi pousser les acteurs à un compromis dans un intérêt bien compris. Pour le Proche et Moyen-Orient, les chiffres sont édifiants. Et d’actualité. En près de vingt ans, les divers conflits régionaux auraient entraîné la perte de 12 000 milliards de dollars, affirme une étude réalisée par Strategic Foresight Group (SFG), un centre de réflexion (think tank) basé en Inde soutenu pour ce travail par la Suisse, la Norvège, le Qatar et la Turquie et dont les résultats étaient présentés vendredi au Palais des Nations par le Centre de politique de sécurité de Genève.
L’Irak en tête des «perdants»
De quoi s’agit-il? L’étude (intitulée Cost of conflict in Middle East) couvre 11 pays et les territoires palestiniens occupés sur la période de 1991 à 2010. La cinquantaine d’experts de la région qui ont collaboré à l’étude ont pris 97 paramètres en compte pour évaluer les pertes économiques, militaires, environnementales, sociales, politiques, diplomatiques et psychologiques liées à des conflits. C’est l’Irak qui vient en tête des «perdants»: «Son PIB aurait pu être 38,5 fois plus élevé, pour atteindre 2262 milliards de dollars au lieu des 58,6 milliards actuels, s’il avait vécu en paix depuis 1991, sans sanctions ni guerres.» Le choix de 1991 s’explique par le fait que c’est l’année du lancement du processus de paix israélo-palestinien de Madrid resté en suspens. Au fil des 170 pages du rapport, composé pour l’essentiel de graphiques, émerge un sombre tableau. Les auteurs de l’étude concluent que si la paix était établie, le revenu moyen d’une famille israélienne augmenterait de 4429 dollars par an, «même après déduction des compensations faites (au retour) des colons et des contributions pour les réfugiés palestiniens». En Egypte, l’augmentation serait 500 dollars par an, 1250 dollars en Jordanie et 5000 dollars en Arabie saoudite.
«Il n’y a pas qu’un seul coût à la guerre, mais une cascade de coûts et ceux-ci vont en explosant, explique Sundeep Waslekar, le président du SFG. Sans conflit, les revenus de la population seraient doublés. Imaginez ce qui se passerait en Suisse si 40% de sa population était composée de réfugiés comme en Jordanie!» Le premier chiffrage de ces pertes colossales forcera-t-il les acteurs régionaux à redoubler d’efforts pour la recherche de la paix? C’est ce que pense John Alderdice, l’un des experts qui fut un acteur politique important du processus de réconciliation en Irlande du Nord: «Les gens réalisent-ils vraiment le coût des conflits, pour toutes les parties? Si on met ce coût terrible dans la balance, le prix de la paix a plus de sens. Et les gens sont prêts à payer un prix extraordinaire s’ils croient au succès de leur entreprise.»
Mais dans le contexte tendu de l’intervention israélienne à Gaza, le message du rapport risque d’être étouffé par les rancunes à vifs. Ainsi pour Mohammed Shtayyeh, ancien ministre des Travaux publics de l’Autorité palestinienne, il ne faut pas parler des coûts du conflit israélo-palestinien mais des coûts de l’occupation israélienne. «On ne peut pas comparer les pertes de part et d’autre. Celles d’Israël sont moindres. C’est à Israël et non à vous (Occidentaux) de payer pour les destructions dans les territoires occupés. Dites-le à vos contribuables! L’occupation d’Israël est profitable. Les Israéliens volent nos terres, volent notre eau. Ce rapport est important pour aider la communauté internationale à faire pression sur Israël.» Yair Hirschfeld, l’un des architectes israéliens des Accords d’Oslo, reste philosophe: «Ce rapport a rassemblé beaucoup de gens autour d’une même table. C’est déjà beaucoup.»